Retour | Nathalie Gallissot - Conservateur au musée des Beaux-Arts, Quimper - |
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“ Dormir, la lune dans un œil et le soleil dans l’autre Paul Éluard, Capitale de la douleur, 1926
Rémi Blanchard occupe une place à part au sein du regroupement d’artistes du début des années quatre-vingt que l’histoire de l’art retient sous le vocable de Figuration libre. À l’instar du poète, dont les vers parfois deviendront titres pour ses tableaux, Rémi Blanchard est un créateur d’images. Et si la Figuration libre a elle-même tout à voir avec la création d’images, dont elle célèbre en quelque sorte le retour sur la scène artistique, le peintre occupe au sein du mouvement dont il est l’un des co-fondateurs une position quelque peu singulière, en marge ou, plus justement, en léger retrait. En léger retrait car il est sans doute des jeunes artistes le plus discret, le plus taciturne, le plus solitaire, tel qu’il se représente d’ailleurs lui-même, dissimulé derrière la silhouette du cerf qui hante ses premiers tableaux, et en laquelle il reconnaît une forme d’autoportrait. La première image de sa peinture est celle du cerf. Au sein du bestiaire des premières années, il est l’animal totem. Rémi Blanchard aime les animaux et ne cessera de les représenter. Plus tard, il les mêlera dans ses tableaux à la vie et aux histoires des hommes et des femmes, dans une relation de familiarité bienveillante, de paisible compagnonnage. Les animaux de Rémi Blanchard sont les mêmes que ceux qui peuplent les tableaux de Marc Chagall, ils viennent de l’univers des contes et voisinent avec les humains dans un rêve partagé. Le cerf – image archaïque de la rénovation cyclique, messager du divin vers la lumière du jour, nous disent les dictionnaires de symboles2 – est le motif des tableaux des premières expositions de l’année 1981 : chez Yvon Lambert, qui consacre au peintre une première exposition personnelle, puis “ Finir en beauté ”, curieux titre choisi par un Bernard Lamarche-Vadel amoureux de Kawabata pour une exposition célébrant certes pour lui un départ, mais qui fut aussi et surtout pour ces jeunes artistes un commencement, enfin “ To End in a Believe of Glory ou le Paris australien ” organisée par Hervé Perdriolle3. L’identification de Rémi Blanchard au cerf apparaît dans les propos mêmes de l’artiste : “ Je raconte toujours une histoire, à partir d’un fait réel de ma vie, par exemple : le cerf se fait enlever, il se transforme en renard, ensuite un passage abstrait, puis un jeu avec mon nom : en fait je raconte mon histoire en plusieurs périodes4. ” Le cerf, le renard, le loup, l’aigle ou le vautour, des couleurs intenses, une touche large et rapide, une fougue dans l’exécution, le cerne noir, composent nombre de tableaux du début des années quatre-vingt. Le renard, autre animal totem, prêtera la forme triangulaire de sa tête et l’acuité de son regard au personnage rimbaldien, au poète vagabond portant lanterne qui parcourra quelques années plus tard les tableaux de Rémi Blanchard. Pour l’heure, le bestiaire est peint sur des toiles grossières, voire des cartons de récupération fournis par une usine voisine, la peinture déborde sur le cadre, sur lequel sont parfois collées des plumes ou de la fourrure, une pratique bientôt interrompue par Rémi Blanchard que la critique compare alors à Schnabel, “ et ça m’a assez irrité5 ”. Une “ violente douceur ”, titre d’un dessin-hommage à Bernard Lamarche-Vadel, émane de ces œuvres, le cerf est aux abois en un profil sombre et répété en frise, ou le corps renversé et laissant alors s’épancher sur et comme au-delà du cadre des gouttes de peinture. “ Sa vie il ne pouvait la saisir, ses yeux comme d’énormes mâchoires nerveuses dévoraient trop de choses trop vite ”, écrit Rémi Blanchard dans le catalogue de l’exposition “ Figures du temps ”, à Nantes en 1982. Les yeux de ces animaux fétiches dévorent en effet la toile, la percent en un regard violent et interrogateur, des yeux qui, apaisés et souvent clos dans les toiles des dernières années, ne faibliront ni ne perdront jamais leur présence. New York encore en 1985 : lauréat d’une bourse de la Villa Médicis hors les murs, Rémi Blanchard séjourne huit mois au PS1. Il y réalise de grandes toiles libres sur lesquelles s’élaborent son vocabulaire, son langage pictural. Le geste ample et la touche rapide cèdent peu à peu devant un dessin plus maîtrisé, une ligne, un contour plus affirmés. La touche rapide, violente, s’apaise en des aplats de couleurs, souvent cernés de noir. Le grand format se prête à un découpage de la toile en une compartimentation des motifs. Le terme de figuration prend alors tout son sens dans la peinture de Rémi Blanchard. L’artiste entre dans l’expérimentation de toutes les sources possibles de l’image, du figurer. Parmi celles-ci, l’histoire de l’art bien sûr. Élève entre 1976 et 1979 à l’École des beaux-arts de Quimper – où il fit cette rencontre décisive de Bernard Lamarche-Vadel, le professeur, puis l’ami –, Rémi Blanchard a découvert l’histoire de l’art dont il ignorait pratiquement tout. Ce furent alors des années d’apprentissage, celles au cours desquelles il s’initia également au métier de potier auprès de son frère Alain, qui dira son application, son implication. Animé du même esprit, le jeune peintre réalise des dessins d’après les œuvres du Greco, de Goya ou de Klimt. Alors que bon nombre d’artistes de sa génération célèbrent l’instinct, la naïveté, et proclament leur ignorance, voire leur rejet, des modèles du passé, Rémi Blanchard observe. Une toile de New York célèbre l’église de Murnau et les improvisations de Kandinsky. Rémi Blanchard est un peintre qui regarde les peintres. L’élaboration de son vocabulaire pictural se fait aussi et beaucoup par le prisme des images et souvenirs de l’enfance. L’enfance ne quittera jamais Rémi Blanchard. La Lanterne magique7, titre d’un livre des jeunes années et, plus tard, d’un tableau offert à Ivan Alechine, répand ses motifs stylisés, ses images simples, et ne cesse d’éclairer l’univers du peintre : des animaux toujours, le renard, le chat, la chouette, les oiseaux, les papillons, des fleurs, des coquillages, quelques objets, bougies, bateaux et voitures jouets. En 1985, une sérigraphie réalisée dans l’atelier d’Éric Linard, À la recherche de l’histoire oubliée8, se présente en un coffret-puzzle de seize images à assembler en un carré. Saint Georges terrassant le dragon, un flibustier devant un coffre, des oiseaux sur une branche, etc., composent un rébus dont une boussole tente d’indiquer le sens. Le rébus, sous une forme indéchiffrable, apparaît comme la clé chimérique de nombreux tableaux de la seconde moitié des années quatre-vingt. Des signes – parfois inscrits dans un cartouche à la façon des hiéroglyphes – côtoient les figures, compartimentent les différentes parties du tableau comme autant de chapitres d’une histoire. Mais l’histoire reste muette, si ce n’est à parler “ le langage des dauphins ”, titre d’un tableau de 1987, ou à écouter la mer dans un coquillage, comme la belle endormie de 1988. Tournés vers leur imaginaire, les personnages des tableaux ont les yeux clos, ou au contraire grands ouverts, comme ceux des sarcophages égyptiens du Louvre. Le cirque, les bohémiens, la roulotte, le nomadisme appartiennent aussi au monde de l’enfance. Le père de Rémi Blanchard est fasciné par l’univers des gitans et raconte nombre d’histoires à leur propos. L’histoire de la roulotte à grandes roues, que l’enfant imagine “ roulotte à grand trou ” et qui apparaît sur un tableau en 1982, la roulotte menacée de percement par une licorne. Le père construit aussi des cabanes-mangeoires pour les oiseaux, que l’on retrouve dans les tableaux. Elles se transforment parfois en cages, ou en lanternes portées au bout d’une lance par un personnage vagabond, un promeneur solitaire parcourant les chemins. Celui-ci a une tête triangulaire qui rappelle celle du renard, avec de grands yeux fixes. Lorsque la tête s’humanise et devient visage, elle est recouverte de la dépouille de l’animal. Cet autoportrait qui apparaît dès 1983 traverse toute la peinture de Rémi Blanchard. La fin des années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix voient le peintre en proie à une quête imagière et imaginaire qui le mène des sujets historiques et mythologiques aux miniatures persanes et à l’Orient des Mille et une nuits, en passant par l’illustration de thèmes littéraires ou poétiques. L’Histoire et la mythologie fournissent des poncifs, images d’Épinal, compositions issues de l’histoire de l’art et comme sorties d’un manuel. Rémi Blanchard recompose, oscille entre la naïveté de la représentation, celle d’une vision enfantine du Cheval de Troie en 1988, et le modèle historique. L’Enlèvement des Sabines, de la même année, doit-il un fronton romain à Poussin, un cavalier à Picasso ? Le casque des combattants emprunte-t-il à David, dont les Grecs firent rire Delacroix mais dont les soldats romains semblent avoir impressionné Rémi Blanchard qui les reproduit à l’envi ? Entre le rejet de toute citation historique, de toute référence picturale, et “ l’excès précisément des emprunts, leur laminage réciproque9 ”, qui caractérisent la position des membres de la Figuration libre et de façon plus générale l’attitude des jeunes peintres qui optent en ces années quatre-vingt pour un retour à la figuration, la position de Rémi Blanchard consiste à observer et à utiliser toutes les images et tous les motifs. Sa découverte de l’Orient dans les années quatre-vingt-dix doit sans doute beaucoup à l’attrait du conte. Pourtant, une fois encore le conte est comme muet chez Rémi Blanchard, et davantage que la narration, c’est l’immobilisme, la fixité des positions et des statures qui le séduisent dans la miniature persane. Les citations sont nombreuses dans sa peinture, les emprunts multiples. Toute image impressionne sa rétine de peintre et réapparaît sur la toile. L’Orient des Mille et une nuits se confond bientôt avec les images d’un voyage pour une exposition itinérante au Japon, à Kobe, Kakokawa, Kawagochi et Hiroshima… Le Japon qui fascina Bernard Lamarche-Vadel happe maintenant Rémi Blanchard, et les épisodes des contes orientaux deviennent autant de miniatures s’ouvrant sur la robe d’une conteuse japonaise comme les fenêtres d’un calendrier de l’Avent. Rémi Blanchard est ainsi un créateur d’images nourri de toutes les images qui l’ont précédé. Sa main et son esprit sont tour à tour ceux de l’enfant devant la lanterne magique ou le kaléidoscope, du maître verrier ou de l’enlumineur du Moyen Âge, du miniaturiste des contes orientaux, du disciple auprès du maître potier japonais, de Matisse taillant dans la couleur pure ses papiers découpés. Ses images fascinent comme le feu qui souvent s’y consume, au bout d’une torche ou dans une cheminée. Le feu dont la lumière attira irrésistiblement Icare, fragile et dansante figure de l’une des dernières images de Rémi Blanchard. |
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Sans titre Technique mixte sur papier, 38,2 x 28,5 cm Collection privée |
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Sans titre, dessin d'après Paul Gauguin Fusain et encre sur papier 70 x 50 cm Collection privée |
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Sans titre, 1987 Acrylique sur papier Collection privée |
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L' Enlèvement des Sabines, 1988 Acrylique sur toile, 107 x 137 cm Collection privée |
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Le Cheval de Troie, 1991 Huile sur toile, 54 x65 cm Collection privée |
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Sans titre Crayon sur papier, 28,2 x38,2 cm Collection privée |
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