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Vincent Rousseau
         
 

On connaît l’histoire : Rémi Blanchard fait partie de ces jeunes artistes qui, sans complexe, au début des années quatre-vingt, sont entrés par effraction dans la peinture. En bandes organisées. Autour de critiques d’art qui avaient jugé le moment opportun d’occuper le terrain et d’en finir en beauté avec les tenants du minimal et du conceptuel. L’offensive s’appelait en France « Figuration libre », aux États-Unis « Bad painting », en Allemagne « Neue Wilde »…
À première vue, rien ne semblait prédisposer Rémi Blanchard à cette aventure. Il avait peut-être le goût du dessin, mais ses parents et professeurs furent les premiers surpris d’apprendre qu’il entrait à l’École des beaux-arts de Quimper après avoir obtenu à Nantes le diplôme d’électromécanicien vers lequel les services de l’orientation professionnelle l’avaient dirigé.
Il faut avouer que Rémi Blanchard ne devait pas connaître grand-chose à l’histoire de l’art avant de découvrir sa vocation. Heureusement. Car il ne se serait certainement pas livré avec autant de ferveur s’il avait connu ses classiques et pris soin de frotter respectueusement ses pieds sur le paillasson avant de pénétrer dans la cour des grands. Il ne soupçonnait sans doute pas la richesse ni l’étendue du territoire qui s’ouvrait à lui. Mais une fois en place il a beaucoup appris, et très vite !
Neuvième d’une fratrie de onze, Rémi connut à Nantes une vie heureuse. Avec leur père, mécanicien dans un grand garage de la ville, qui conduisait une voiture publicitaire les jours de mi-Carême, les enfants ont goûté aux couleurs de la fête et aux batailles de confetti. Le dimanche, ils allaient à l’église. Rémi ne semble pas avoir souffert de cette éducation car, en 1987, il accepta sans arrière-pensée de composer une Nativité pour la couverture du numéro de Noël de l’hebdomadaire La Vie. Il a toujours aimé les images.
Ses parents, qui habitent encore à Nantes dans la même maison, ont laissé au fond de leur jardin le petit carré de nature que Rémi s’était approprié pour cultiver ses rêves et se raconter des histoires en jouant avec des animaux… en céramique. Il y subsiste une biche et un aigle, qui font toujours bon ménage !
Beaucoup de sujets qui inspirèrent le peintre sont nés là. Définitivement ancrés dans son imaginaire. Le bestiaire de Rémi Blanchard appartient à l’univers des gens du voyage, des bohémiens et des saltimbanques qu’il mit si souvent en scène avec leur cortège de lions, ours, chiens, chevaux, renards…
Rémi Blanchard revenait régulièrement voir sa famille à Nantes où, en 1982, il fut invité à participer à une exposition collective intitulée « Figures du temps », au palais de la Bourse. La même année, l’École des beaux-arts l’accueillit dans son local de l’Atelier sur l’Herbe. C’est à cette époque que le musée des Beaux-Arts fit l’acquisition du Voleur d’étoiles et que les Amis du musée firent entrer Colin Mayar dans leur collection. Les deux tableaux datent de ce que l’on pourrait appeler la première période du peintre, la plus fougueuse et la plus débridée. Celle des erreurs de jeunesse : Rémi peint sur des supports de fortune, comme il peut, avec ce qu’il a sous la main. Le résultat pourrait être catastrophique mais, miraculeusement, ça « fonctionne », comme on dit. Le tableau est indéniablement présent, avec ses outrances et ses imperfections, mais on y croit. L’évolution du travail de Rémi Blanchard donna raison aux amateurs nantais qui devinaient en ce jeune homme un continuateur des artistes qui fondèrent en 1934, à Nantes, le Groupe Régional Indépendant pour libérer la peinture locale de son carcan académique : ceux-ci s’appelaient Paul Durivault, Jacques Philippe, Henry Leray, Émile Pescher, Michel Noury… Ils admiraient tout à la fois Picasso, Matisse, Chagall, Dufy, Van Gogh… C’est à propos de Michel Noury, pour caractériser son travail et celui de ses amis, que, dans le texte de présentation de l’exposition que lui consacra le musée de Pont-Aven en 1988, j’ai parlé pour la première fois d’expressionnisme onirique. Il ne s’agissait évidemment pas, pour moi, d’inventer a posteriori une « école » : je cherchais seulement à qualifier le plus justement possible un ensemble de productions délibérément figuratives, qui avaient pour caractère commun de conjuguer librement couleur et imagination.
Rémi Blanchard appartient incontestablement à cette famille. Il pourrait être le fils spirituel de Michel Noury, et bien qu’il n’ait probablement jamais eu connaissance de l’existence de ses aînés, il prend instinctivement place dans la lignée des imagiers qui utilisent un langage simple et efficace (couleur, aplat, cerne…) pour raconter des histoires aux petits et aux grands qui résistent à la tentation de devenir adultes.
Alors que le musée des Beaux-Arts et la bibliothèque municipale de Nantes évoquent les Nantais qui ont joué un rôle dans l’aventure surréaliste, on ne peut s’empêcher d’associer mentalement le destin de Rémi Blanchard et celui de Jacques Vaché : tous deux sont en effet passés, en des circonstances similaires, de l’autre côté du miroir… Ils appartiennent désormais éternellement au monde de ces « rêveurs définitifs » qui nous font signe d’ailleurs et nous rappellent, avec André Breton, que « c’est peut-être l’enfance qui nous rapproche le plus de la vraie vie ».

     
 
     
 
     
 
Le Voleur d'étoile, 1982
Huile sur toile, 216 x 272 cm
Musée des Beaux-Arts, Nantes