Rémi Blanchard réalise une toile de 4 x 8 m dans les anciens ateliers de décoration de la Comédie de Caen
 

Hervé Perdriolle
Graphiste, Hervé Perdriolle conçoit le système graphique de la revue Artistes créée par Bernard Lamarche-Vadel. Il travaille pour la revue du Syndicat de la Magistrature, conçoit des affiches, des pochettes de disques et des annonces promotionnelles pour The Cure, Jean-Michel Jarre, Joe Jackson. Directeur artistique, il réalise des maquettes de catalogues et de livres sur Calder, Miro, Léger, pour la Galerie et les Editions Maeght, sur Helmut Newton, pour les Editions du Regard.
Il est également photographe. Sa première exposition est organisée par Georges Rousse en 1974 à Nice.

Retour
Commissaire d’exposition, Hervé Perdriolle organise des manifestations artistiques dans des espaces les plus variés, le métro, les Bains-Douches, les 24 heures du Mans ou le Championnat du Monde de Ski Nautique, le Musée d'art moderne de la Ville de Paris ou encore le Musée des monuments français.
Promoteur de la Figuration Libre, il illustre, à travers de nombreuses manifestations, les liens amicaux et culturels qui unissent, de 1981 à 1985, les artistes de ce mouvement : Rémi Blanchard, François Boisrond, Robert Combas et Hervé Di Rosa. Pour montrer les affinités entre ces artistes et leurs homologues américains, il organise les premières interventions en France de Jean-Michel Basquiat (avec Otto Hahn), Keith Haring, Crash et Tseng Kwong Chi (5/5, Figuration Libre, France /USA, ARC, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, déc. 1984 - fév. 1985). Il est l’auteur de « Figuration Libre, une initiation à la culture mass medias » publié aux Editions Axe-Sud en 1984. Directeur de la société des frères Di Rosa (1988-1994), il est cofondateur de l’Art Modeste.

Chat perché (texte d'Hervé Perdriolle paru dans la monographie de Rémi Blanchard aux éditions Somogy en 2004)

Il faut absolument dire que Rémi Blanchard était capable du meilleur comme du pire, sans quoi certaines personnes mal intentionnées ne cesseront de nous ressortir le pire, et ce pire pourrait alors cacher le meilleur. Le pire est présent dans l’œuvre de tout artiste, mais de manière générale il est mieux dissimulé. Oser parler du pire et du meilleur à propos de l’œuvre de Rémi Blanchard n’est pas difficile, car le meilleur s’impose ici sans contestation aucune. Que cet œuvre, si court, affiche, avec l’indécence provocante de la liberté, le meilleur comme le pire témoigne d’un engagement sans calcul.
L’œuvre de Rémi est à l’image de l’homme, du jeune homme car Rémi est pour toujours resté jeune. Volage, semblable à l’un des nombreux oiseaux migrateurs qui jalonnent ses peintures. Oiseaux de nuit, aussi, qui semblent toujours dormir, dormir debout, en équilibre. Influençable Rémi, là aussi pour le meilleur comme pour le pire. Je me souviens de sa période quai de Seine, où l’amitié et l’art ne faisaient qu’un, déambulant la nuit avec son clan, ses amis, dans les rues de Paris muni de pochoirs métalliques en forme de chat, en tête ou en pied. Pochoirs de chat pour un travail de bombage, de graffiti, d’empreintes sur les murs. Chats se faufilant, se déplaçant sans bruit, capables de passer entre nos jambes sans même qu’on les remarque. Chat perdu. C’est de son chat disparu qu’en premier Rémi me parla, le jour où il perdit toutes ses œuvres, archives et effets personnels, dans l’incendie de son atelier. Chats aux regards perçants, puis chats aux regards mi-clos. Drôle d’animal, le chat, si pleinement (d’attitude et de physique) à mi-chemin entre l’Orient et l’Occident, trait d’union domestique entre l’Orient et l’Occident. Influençable Rémi, comme cette autre période où ses peintures étaient si proches de celles de François Boisrond, presque du mimétisme, troublant. Influençable encore lorsque ses lectures de Rimbaud ou de Kerouac resurgissent dans toute la magnificence de ses plus belles œuvres. Influençable toujours avec ses nombreux regards de femmes aux yeux bridés, semblables à ceux de ses compagnes japonaises ; tous ces regards engloutis, ces regards sans regard. L’œil si plissé qu’il est impossible d’en voir la pupille.
Les plus belles toiles de Rémi Blanchard : en décrire juste quelques-unes.
             
 

Dormir, la lune dans un œil et le soleil dans l’autre. D’après Paul Éluard 1990, 76 x 102 cm
Un aplat en dégradé, façon estampe, du rouge au rose, vif et tendre à la fois. Tendre la vie. Lignes claires, d’un geste limpide. Plumes peintes et vraies plumes collées. L’œil clos, assoupi, l’œil de l’empire levant représenté par une simple courbe. Non dessinée la courbe, la paupière, mais simplement figurée par une plume collée directement sur la toile. La beauté. Peinture synonyme de beauté, d’une aspiration en rêve éveillé à la beauté. On pense à Klimt, aux symbolistes, mais plus encore, cette toile nous donne à voir Rémi Blanchard. Rémi dormant sur la table à tréteaux de l’atelier de Bernard Frize (Bernard avait invité Rémi, lors de son arrivée sur Paris, à partager son atelier). Rémi dormant, à même la table, entouré des pots de peinture de Bernard Frize, la lune dans un œil et le soleil dans l’autre. Autre toile de la même famille, Pleurs de plumes.

View from Russian Hill, San Francisco 1990, 152 x 198 cm
Une table ; sur la table, un livre de poésie de Rimbaud dont on peut lire le titre : Une saison en enfer, Illumination. Pourtant l’atmosphère de cette peinture est ouatée, feutrée. Étouffée ? À côté du livre, un vase. Sur ce vase, un visage. Au dos du livre, un visage. Au mur, un tableau, sur ce tableau l’esquisse d’un visage. Au premier plan, une femme de dos. Au regard de son dos et de sa chevelure noire de jais, on suppose qu’elle est asiatique. De chaque côté de la table, à gauche, à droite et au fond : canapés et fauteuil, confortables, accueillants, vides. Mur du fond encore, une grande fenêtre vitrée à l’américaine ; les persiennes entrouvertes laissent apercevoir une vue panoramique et nocturne de la baie de San Francisco.

L’Adieu aux saltimbanques 1988, 137 x 107 cm
Toile d’un style résolument naïf. Premier plan, un cheval et un cerf aux contours aussi résumés que peuvent l’être ceux de jouets pour enfants, en second plan un homme nu, trait grossier, juste un contour – et simple aplat de couleur. L’homme nu semble saluer les saltimbanques qui partent au loin (alors qu’un oiseau vient se poser sur sa main tendue). Ceux-ci sont figurés par la seule présence de deux roulottes tirées chacune par un cheval. La manière de peindre, pour cette toile, est entre expressionnisme et symbolisme, nabi et naïf. Gauguin et le Douanier Rousseau ne sont pas loin. Éloge de la naïveté héroïque. Hommage homérique aux saltimbanques.

Deux femmes aux lys, Femme à l’oiseau bleu et Femme aux bouquets de roses
Trois toiles de 1988, Matisse revisité par un Fernand Léger qui s’appellerait Rémi Blanchard, né en 1958 à Kyoto, près de Nantes, mort « sur la route » en 1993.

Février 2004

P.S. Tant de références, de grands noms évoqués, pourraient paraître comme de primaires faire-valoir. Il n'en reste rien. Ouvrons les yeux ! Ce sont simplement certaines œuvres de Rémi Blanchard qui, implicitement, convoquent ces noms d'oiseaux (Rémi Blanchard aime les oiseaux, photographie de Rémi Blanchard mis en scène par Louis Jammes, années quatre-vingt.

       
   
       
Retour