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Ivan Alechine
         

En 1985, je crois que c’est Robert Combas qui m’a donné le numéro de téléphone de Rémi. Combas venait de faire des illustrations pour mon recueil de poèmes que les éditions Fata Morgana publièrent sous le titre de Superstitions, et j’avais envie de continuer avec Rémi Blanchard.
Je pensais à lui pour mes poèmes africains réunis sous le titre de Tapis et Caries. J’aimais bien le travail de Rémi parce qu’il me semblait que ses toiles étaient à chaque fois des idées simples (mais non simplistes), peintes simplement, où courait un vent de poésie que je ne voyais pas ailleurs. Ses vagabonds rimbaldiens marchant le long des routes, tirant ou non derrière eux une roulotte, lampe-tempête à la main, dans le vent, parfois revêtus d’une dépouille de cerf, ça me parlait. Il y avait un air de fraîcheur, presque de naïveté, que je cherchais aussi pour mes poèmes.
Quand nous nous sommes vus, je lui ai apporté, outre Tapis et Caries, un de mes livres favoris que je garde de mon enfance, La Lanterne magique pour les enfants sages, par Suzanne Jung, publié par la Librairie Gründ (quelle n’a pas été ma surprise de voir ce même livre « coté » assez cher chez les bouquinistes, ces jours-ci !). Ce livre d’enfance, avec ses couleurs simples – des rouges, des verts, des bleus, des jaunes non mélangés et des aplats de noir – avec ses dessins sans prétention pour des enfants en quête de vocabulaire, parla tout de suite à Rémi, qui comprit que ce que je voulais atteindre avec lui, c’était aussi une forme de vocabulaire simple, mais cette fois pour « adultes sages ». Cette quête était la sienne. Pendant qu’il travaillait sur mes poèmes (avant et après), on se voyait et j’ai pu apprécier l’extrême gentillesse de Rémi, amateur de poésie. Son attitude tranchait, dans un milieu artistique plutôt avide de reconnaissance et de succès. Il prenait le succès comme on prend une tasse de thé au jasmin, comme quelque chose d’essentiellement léger et parfumé, mais peu nourrissant intérieurement. Intérieurement, il était ce vagabond tranquille qu’il peignait sur ses toiles, à la recherche de douceur et d’illuminations.
Quand ses illustrations furent achevées, le résultat m’enthousiasma : il avait parfaitement synthétisé les poèmes, prolongeant parfaitement leur sens. Un an plus tard, il m’offrit une lampe-tempête peinte dans l’esprit « lanterne magique », éclairant d’une belle lueur jaune quelques-uns de ses amis plongés dans la nuit : la chouette, le poisson-lune, une tour de château et un curieux visage de roi aztèque. Je fus d’autant plus touché par son geste que le temps n’était plus aux peintres généreux de leurs œuvres avec leurs amis poètes.

 

 
La Lanterne magique, 1986
Acrylique sur papier, 70 x 50 cm
collection privée